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30 Jul 2015

Langue et identité

par Dr Said Soilih

L’identité culturelle est un concept qui permet à un peuple de se reconnaître par des valeurs bien précises dans ses pratiques, concepts, pensées, croyances et l’art. Il est alors difficile d’identifier et de défendre d’une façon absolue les valeurs et la mémoire d’une nation sans une identité culturelle conforme à la réalité locale. Les Comores, dont l’histoire est marquée par l’esclavagisme, l’islamisation, le sultanat, la colonisation, le féodalisme, la révolution, le népotisme et le séparatisme, ne sauraient se vanter aujourd’hui d’une mémoire authentiquement originale, exprimant encore son identité. 

La reconquête de l’identité culturelle comorienne passe nécessairement par une étude épistémologique et historique des parlers locaux qui font référence à des formes littéraires, métaphoriques, imagées, des symbolismes et des techniques de production langagières propres des îles. 

La langue comorienne constitue l’ensemble des unités du langage parlé ou écrit, propre à la population digne de cimenter l’identité culturelle des îles; le langage demeure cette faculté que nous avons de communiquer entre nous et d’exprimer nos pensées. Les Comores comptent quatre parlers inter-compréhensibles. Malgré cette diversité apparente, il existe des affinités réelles entre eux. Ainsi, un travail de consolidation des ressemblances linguistiques pour couper cours à une exploitation des différences observées paraît important. 

La langue est donc un pilier de la culture pour ceux qui l’ignorent. Et selon le Malien Seydou Badian KOUYATE « … par la langue, nous avons ce que le passé nous a laissé comme message et ce que le présent compose pour nous. C’est la langue qui nous lie, et c’est elle qui fonde notre identité. Elle est un élément essentiel et sans lequel il n’y a pas de culture. La langue nous aide à tout interpréter » et Badian continue « …. nous étions des dominés, des colonisés et la langue a été pour nous un facteur de libération». Il serait donc important de veiller à la survie du comorien en tant qu’élément culturel de libération socioéconomique et culturelle de tout l’archipel. 

Il est important alors de signaler la mobilité et la flexibilité constantes d’une langue particulièrement du comorien. C’est la raison pour laquelle tous les citoyens doivent mesurer combien il est utile de défendre leur langue et de l’enseigner aux enfants pour les maintenir dans leurs origines et lutter son appauvrissement. 

De la période coloniale à nos jours, l’école occidentale reste la seule référence dans l’éducation et la formation des enfants. L’éducation familiale est reléguée au dernier plan une fois que les parents sont considérés comme dépourvus d’une éducation digne, parce qu’ils n’ont pas fait l’école de Napoléon. Tous les enfants ayant la chance d’aller à l’école ne réfléchissent plus que par l’école. Ils sont éloignés totalement et progressivement de leur racine culturelle. 

Les programmes enseignés dans le passé ne prenaient jamais en compte les facteurs culturels des milieux comoriens parce que calqués sur des modèles étrangers véhiculant une culture étrangère. Les seules références historiques et culturelles étaient alors les étrangers. 

Iba N’Diaye, spécialiste des langues africaines au Centre Amadou Hampaté BA, Bamako, avance les propos selon lesquels « …nous pratiquons à longueur de journées, un déni de reconnaissance de la riche et complexe contribution de nos ancêtres en matière de cultures, de langues et même d’écritures. L’étude de nos langues est d’autant plus importante que sa négligence soit l’une des principales sources de la misère économique de nos populations ». « Les élites ayant la charge de concevoir les modèles de développement et les projets de société, puis de mobiliser les populations illettrées et les ressources intérieures et extérieures autour de ces modèles et projets, ne savent même pas comment présenter valablement leurs idées, approches, méthodes de travail, de gestion et d’évaluation à nos communautés. » 

Ainsi, les intellectuels comoriens (les instruits) constituent pendant longtemps un obstacle majeur à l’évolution de nos parlers locaux avec l’argument selon lequel ils ne permettent pas d’exprimer une pensée scientifique. Ce qui paraît tout à fait erroné.

La langue comorienne malgré son statut oral qui lui a été imposé depuis des siècles est source de réflexion car elle rentre dans le cadre des langues riches par sa diversité.

Non seulement son étude conduira en toute fierté et en toute beauté aux fondements culturels de la civilisation comorienne en voie de disparition, mais également, l’étude de la structure syntaxique et lexical permettra d’identifier les mots d’origine diverse qui se sont imbriqués dans le répertoire lexical du comorien. Nous sommes convaincu également de l’existence dans les formes d’expression de cette langue d’une pensée scientifique, artistique et culturelle digne et propre des îles, permettant aux jeunes générations de puiser des richesses et se doter d’une pensée comorienne indispensable pour la conquête d’une pensée universelle. Il s’agit « des proverbes » qui sont riches de sens mais pauvres dans l’application.

Aujourd’hui, cette langue avance à grande vitesse vers une véritable dégradation structurale et une déperdition considérable dans le domaine lexical. Au niveau de la structure grammaticale, la langue s’appauvrit par le fait qu’elle n’est pas encore normée. La morphologie de la phrase n’est pas étudiée donnant cours à des confusions souvent mal à propos et des irrégularités dans les énoncés. « mikamdji, minohumwona ». Dans beaucoup de cas, on sent le français traduit mot à mot sans parler des difficultés d’interprétation des concepts scientifiques et techniques.

On constate également que l’écriture utilisée dans la plupart des cas est une écriture calquée sur le français et qui ne tient pas toujours compte de la structure étymologique des mots mais de leur vocale. Ainsi, selon le milieu, le même mot s’écrirait de façons différentes. 

Il est temps alors d’étudier aujourd’hui la langue comorienne afin de faire d’elle un outil de développement durable au service de la majorité de la population. C’est-à-dire : Faire une étude historique des parlers pour en dégager les concepts pédagogiques, didactiques, économiques, sociologiques, scientifiques, … par une analyse appropriée de la structure des mots, des locutions, de la phrase… selon une spécificité du comorien. 

Mettre en place une véritable politique linguistique au niveau des états pour traduire tous ces efforts/acquis en termes d’outils de développement. Procéder à une reforme des systèmes éducatifs où les résultats de ces études seront mis au service de l’éducation nationale.

Standardiser le comorien est une phase essentielle pour ne soit une langue morte. Elle nécessite l’implication des populations rurales encore attachées à leur tradition. Un mouvement d’échanges de points de vue, caractérisés par le donné et le recevoir, se constituera entre les populations et les spécialistes : les aptitudes de base (écriture, lecture et leur application à la production) dans la langue locale s’échangeront au profit des fondements culturels de nos valeurs anciennes. 

Si notre pays se trouve dans la pauvreté c’est parce que nos gouvernants ignorent que sans identité un pays n’avance jamais

Dr SAID Soilihi

Said Soilihi 

30 juillet15
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